Le contournement de la dépression qui occupe nos marins, depuis 3 jours qu’ils ont passé Rio, devrait s’achever ce soir. Pour Thomas Coville, Jean-Luc Nélias et Martin Keruzoré, c’est la fin d’un chapitre engagé et fatiguant de cette Brest Atlantiques.
« Ca va s’améliorer dans quelques heures… Mais ça fait quelques heures qu’on dit ça » disait déjà Thomas Coville hier soir. Dans cette ambiance mouvementée, la mesure du temps n’est plus la même. Les changements de voile s’enchaînent, toujours à la recherche de la meilleure combinaison.
Une fois la dépression contournée, le calme devrait revenir à bord : l’occasion pour notre trio de se reposer et de panser le bateau pour retrouver le plaisir de naviguer. L’Atlantiques Sud est encore long : le passage de CapeTown est pour le milieu de semaine prochaine.
17 novembre – Mot du bord de Martin Keruzoré / Sodebo Ultim 3
« Voilà quelques jours que le simple fait de se pencher sur un clavier pour vous écrire ses quelques lignes paraissait inenvisageable. Non pas que l’envie de vous faire part de ce que nous traversons à bord ne soit pas là, mais l’unique challenge de rester accoudé face à un ordinateur alors que le bateau essaye de battre le record de saut en hauteur au milieu de l’Atlantique Sud était physiquement impossible à réaliser pour moi.
Par où commencer cette carte postale….
A voir leurs visages après ses trois jours de mer, d’enfer, ils sont ce matin cachés sous des cagoules, les traits tirés, la mine des mauvais jours, les yeux abîmés de fatigues. Le Sud avec le rythme de sa houle a dicté la vie à bord, à savoir des phrases courtes, beaucoup d’intonations et d’exclamations, au plus loin de la belle poésie. Périodiquement, réglé chaque minute, après s’être élancé à vive allures par vent de travers sur un grand tremplin bleu déferlant blanc, nous nous retrouvons suspendus, dans le silence, en plein vol, ou plutôt en chute libre. Tout s’arrête, le moment pourrait être magique, en apesanteur à 4 mètres au-dessus d’un océan déchaîné, cela pourrait l’être si le traumatisme de la dernière chute n’était pas ancré en nous. On redescend, ça va taper, un grand coup, par réflexe le corps de gaine, c’est long, on attend, impact imminent. Un bruit sec de destruction raisonne, ça rentre en vibration jusqu’au plus profond de nous, le corps et le bateau ont mal. L’impression de retomber sur une mer d’acier, un choc entre deux éléments solides, que tout oppose.
Dans la cellule ou nous vivons depuis près de deux semaines, c’est le chaos. Les casiers contenant à la base nos affaires et notre nourriture sont éventrés, le sol est tapissé d’objets en tous genre, une orange qui roule sous le vent, une chaussette qui joue les éponges, une glacière qui sert de caisse à outils. Que pouvons-nous faire en attendant la prochaine vague, la prochaine punition, qui ne cesse de nous être infligée jours et nuits depuis que nous avons quitté Rio ? On va patienter, continuer à faire marcher le bateau, continuer à manger, vivre, (on rangera après promis…) en espérant voir rapidement le bout de tunnel pour y faire les comptes.
Écrit sur ipad entre deux sauts de vague. Martin »