Thomas Coville a pris jeudi à 14h42’40 la deuxième place de l’Arkea Ultim Challenge-Brest, arrivé 2 jours 6 heures 4 minutes et 58 secondes après le vainqueur, Charles Caudrelier. Le skipper de Sodebo Ultim 3, âgé de 55 ans, aura mis 53 jours 1 heure 12 minutes et 40 secondes pour boucler son neuvième tour du monde, son cinquième en solitaire. Un peu plus d’une heure après avoir coupé la ligne au large de Brest, le marin s’est confié sur ses émotions, son duel avec Armel Le Cléac’h, les difficultés endurées… Morceaux choisis.
Thomas, peux-tu nous décrire l’émotion que tu as ressentie au moment de couper la ligne puis d’arriver ici, à Brest ?
Quelques minutes avant de voir les Pierres Noires, le phare qui ouvre Ouessant, tu ne te rends pas compte de ce qui va t’arriver, tu es dans une telle concentration, dans une telle intensité, que tu es pris par l’émotion en voyant les premiers visages, ceux qui te sont très familiers, ta famille, ton équipe, les gens de Sodebo. Ça monte, c’est extrêmement puissant, c’est une émotion très rare. Ce n’est pas le classement qui te vient à l’esprit, mais l’émotion de partager ça alors que tu te dis qu’il n’y aura personne pour t’accueillir, c’est un moment d’excellence, de partage fou, c’est immense. Quand vous arrivez d’un tour du monde comme je viens de faire et que vous vous êtes laissé prendre par l’histoire, vous êtes comme ce petit morceau de bois flotté (qu’il sort d’une poche de sa veste de quart) : vous avez devant vous un mec qui est lavé par la mer, épuré, et se livre à vous, comme ça. Il faut imaginer 52 jours pendant lesquels vous n’avez parlé à personne, complètement absorbé et immergé dans votre univers, dans cet engin qui est votre habitat, vous n’avez pas de visages, et là, ça vous submerge, c’est indescriptible !
Dans quel état termine le bateau ?
Ce bateau, je l’ai ramené presque en entier, il ne manque que quelques bouts, ça ne se voit pas beaucoup, c’est plutôt sous l’eau, mais j’ai fait corps avec cet engin car derrière, il y a plein de gens qui ont participé à sa conception et à sa construction. C’est un projet que nous avons voulu très humain et qui est réussi pour ça. Cette course, nous l’avons imaginée avec Patricia Brochard (co-président de Sodebo) ici il y a dix ans, c’est pour elle qu’on a construit ce bateau il y a cinq ans avec toute cette équipe qui est derrière moi. (Il se tourne alors vers son équipe). Je vous le ramène, il est à vous, c’est notre bateau. Ce qu’on a fait ensemble, c’est prodigieux, on se souviendra toute notre vie de cette course dont on a rêvé. La trace que nous avons faite ensemble est belle, on peut être fiers. Cette histoire, vous la raconterez encore longtemps, elle nous appartient !
Crédit photo : Jean-Marie LIOT / Sodebo Voile
Et le marin, comment se sent-il ?
Physiquement, je suis en super état, je n’ai mal nulle part, je m’étais bien préparé athlétiquement. Maintenant, je vais vous avouer un truc : j’avais demandé à mon épouse de m’amener mon vélo pour être capable de rentrer (à Locmariaquer) et voir où j’en étais. Elle a refusé !
Tu viens de boucler ton neuvième tour du monde…
Mon premier, c’était avec ce monsieur (il montre Olivier de Kersauson au pied du bateau), c’est lui qui a mis la graine, qui m’a montré l’endroit, qui m’a dit que pour gagner, il fallait finir. Aujourd’hui, on n’a pas gagné, mais on a fini, merci monsieur !
As-tu appris des choses sur toi-même pendant ces 53 jours de mer ?
La compétition m’a beaucoup aidé à m’accepter comme je suis, ce qui avait été douloureux pour moi dans les records. Parce que quand je me battais contre les temps de Francis Joyon, il n’était pas là, je suis parfois rentré dans des états d’émotion pas très heureux, voire nauséabonds, parce que je n’avais personne pour me jauger et m’évaluer. Alors que là, – et j’ai longtemps été en compétition avec Armel (Le Cléac’h), j’ai d’ailleurs une pensée pour lui en ce moment car il galère, c’est dur -, le fait d’être en compétition et de jouer avec un mec de ce niveau, qui vit comme vous des choses pas faciles, ça m’a aidé à davantage m’accepter dans mes fragilités. J’étais bien plus en paix avec moi pendant cette compétition que je ne l’ai été sur les records. J’attendais ça, c’était une super compétition, Armel me l’a offert, merci !
Crédit photo : Vincent Curutchet / Team Sodebo
Que t’a-t-il manqué pour prétendre à la victoire ?
Quand Charles et Tom Laperche étaient en train de se bagarrer – je voudrais d’ailleurs dire deux mots sur Tom, on a affaire à un très grand champion en herbe qui a une maturité incroyable –, ils attaquaient tous les deux très fort. J’étais assez content qu’ils attaquent comme ça car pour moi, c’était un peu trop tôt pour le faire comme ça. Nous, on revenait petit à petit, en grignotant mille après mille, et là, on a eu ces problèmes de foil (système de descente des foils) qui nous éliminent dès l’Atlantique Sud. C’était beaucoup trop tôt et la compétition a alors pris un autre relief. La course était encore longue, il y avait encore moyen de jouer et on a d’ailleurs joué notre carte jusqu’au bout, on n’a jamais lâché. Quand je suis reparti de Tasmanie (où il s’était arrêté deux jours pour notamment réparer son balcon et son filet avant), c’était très engagé, avec une grosse mer de 6-7 mètres, 35-40 nœuds de vent, mais pour rester dans la compétition, il fallait partir à ce moment. Cette deuxième place, on a été la chercher là, même si j’avais encore envie de la victoire en repartant, je me sentais vraiment capable d’engager tout ce que j’avais. Il n’y a pas beaucoup de moments dans votre vie où vous êtes capable de vous engager et de vous livrer autant. J’ai aussi une équipe incroyable qui m’a aidé à tenir et à ne pas être du tout aigri, je n’avais pas envie de lâcher, parce que je savais que la durée, c’était ma chance.
Tu disais il y a quelques jours avoir « morflé », comme Armel le Cléac’h, sur ce tour du monde, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
On a morflé parce que tu ne vas pas dans ces endroits-là sans t’exposer. A partir du moment où tu descends dans l’Atlantique Sud et que tu tournes autour de l’Antarctique, tu t’exposes. Quand j’ai eu mes problèmes de foil et que j’essayais de réparer, si je tombais à l’eau, c’était fini… Les temps qu’on a faits ne sont d’ailleurs pas bons du tout, c’est vous dire les états de mer qu’on a eus. Les enchaînements ont été difficiles, ceux de l’Indien étaient horribles, il n’y a eu que Charles qui, un moment, a eu un enchaînement digne d’un record. J’aurais d’ailleurs voulu lui poser la question de savoir si, quand il est parti d’ici, il savait que ça s’enchaînerait comme ça et que c’était pour ça qu’il avait pris autant de risques dans les trois premiers jours, je ne crois pas. (A ce moment, Charles Caudrelier monte à bord de Sodebo Ultim 3, Thomas Coville s’adresse à lui) : Ça me plaît d’être fier d’avoir fait deuxième derrière toi, ça me plaît aussi d’être devant Armel !
Crédit photo : Vincent Curutchet / Team Sodebo